Curnonsky

Né à Angers dans un hôtel particulier de l'avenue de Contades, orphelin de mère, abandonné par son père, il est élevé par sa grand-mère. Il a notamment pour trisaïeule la bienheureuse Jeanne Sailland dont les descendants sont dispensés par rescrit papal de « faire maigre », dispense à l'origine de sa vocation de gastronome. À l'âge de 18 ans, il s'installe à Paris pour préparer l'École normale supérieure et devenir journaliste.

Il commence à rédiger des articles pour des journaux tels que La Vie parisienne, Le Music-Hall illustré du matin et Comédia, et s'invente un pseudonyme. La mode étant aux noms à consonance russe (époque de l'alliance franco-russe, des amours cosaques et des Ballets russes à Paris), la question est posée en latin : « Cur non sky ? » (« Pourquoi pas sky ? ») Le pseudonyme est approuvé par Alphonse Allais, dont il reprend la chronique, « La Vie drôle », dans Le Journal.

En complément de ses chroniques, il devient en 1895 un des « nègres » de Willy, le premier mari de Colette, et publie des romans ainsi que des contes et gazettes. C'est alors qu'il rencontre Paul-Jean Toulet : les deux hommes sympathisent au point de devenir colocataires. Ils coécrivent trois romans : Le Bréviaire des courtisanes et Le Métier d'amant, parus sous le pseudonyme de Perdiccas, puis Demi-Veuve, paru en feuilleton sous la même signature mais dont Curnonsky signera seul l'édition en volume (Toulet ayant renié leur œuvre). Curnonsky prête aussi sa plume à la publicité naissante (plaquettes vantant le pyrex, le frigidaire, le roquefort mais sans jamais associer son nom à ces publicités) et serait notamment à l'origine du nom « Bibendum » qui est resté attaché au bonhomme en pneus de Michelin.

Après l'exposition universelle de 1900, il fait partie d'une délégation de presse qui part en Extrême-Orient : il y découvre notamment la diversité de la cuisine chinoise. De retour à Paris, il est engagé pour écrire des chroniques gastronomiques dans Le Journal (rubrique de « gastronomade ») et Le Matin. Privilégiant la cuisine du terroir, bourgeoise et paysanne, à la Haute cuisine codifiée et raffinée d'Auguste Escoffier, sa philosophie gastronomique est résumée dans cette critique « vers le début de ce siècle, l'éminente et millénaire supériorité de la cuisine française fut menacée par deux fléaux : le snobisme de la cuisine anonyme et cosmopolite qui sévissait dans tous les palaces et caravansérails de l'univers, et le goût suranné de cette cuisine compliquée et tarabiscotée qui tendait à dissimuler les saveurs et les arômes et à présenter sous des noms bizarres et prétentieux des plats où la chimie se mêle à la prestidigitation » et cet aphorisme « en cuisine comme dans tous les autres arts, la simplicité est le signe de la perfection ».

À partir de 1921, il publie avec son ami Marcel Rouff La France gastronomique, une collection de 28 recueils (sur 32 prévus) sur la cuisine régionale et sur les meilleurs restaurants de France.
Faisant partie de l'Automobile Club de France, il participe dès 1926 à la naissance du guide Michelin.
En 1927, il est élu « prince des gastronomes » après un vote des cuisiniers, restaurateurs et gastronomes organisé par la revue Le Bon Gîte et la Bonne Table, titre qui lui reste attaché au xxie siècle. Son rival finaliste, Maurice des Ombiaux, sera élu « Prince de la Treille ». En 1930, il fonde l'Académie des gastronomes et l'Académie de l'humour avec Romain Coolus. Il publie au total une cinquantaine d'ouvrages sur la cuisine.

Membre de l'« Académie Rabelais », chevalier de la Légion d’honneur en 1928, il est fait officier en 1938.
En 1933, il fonde l'Académie du vin de France avec le baron Pierre Le Roy de Boiseaumarié, qui a entrepris un combat pour faire reconnaître les AOC et que Curnonsky vient souvent retrouver sur place à Châteauneuf-du-Pape pour aller déguster chez des amis. Grand amateur de châteauneuf-du-pape, il ne manque jamais de parapher le livre d'or : « Ce nous est honneur de joye que d'annexer à nostre principauté de Gastronomie, le territoire de Châteauneuf-du-Pape et de nommer maître Prosper Quiot fournisseur attitré de nostre Cour8. » Dans le livre d'or du Clos Saint-Pierre, il écrit : « Nous attirons tout spécialement la bienveillante attention des gastronomes, dipsodes et autres buveurs, nos frères et amis, sur la somptueuse magnificence du marc que l'on trouve en ceste amé et inclyte cité de Châteauneuf-du-Pape et qui nous a paru vrayment une essence de Soleil9. En mai 1934, il prend la direction littéraire de la revue La France à table dès son premier numéro.

En 1938, il lance en Belgique le « Club de la bonne auberge. » Ce dernier ne devint une association déclarée que fin 1938. Par la suite il s'appela « Club des gastronomes » et devint finalement le « Club royal des gastronomes de Belgique » par brevet du roi Albert II en 1997.

Quand éclate la Seconde Guerre mondiale, il quitte Paris et s'installe dans une auberge à Riec-sur-Bélon en Bretagne, chez son amie Mélanie Rouat, fine cuisinière qu'il a découverte lors de vacances10. Il retrouve son appartement parisien à la fin de la guerre et reprend son activité de journaliste. Il lance en 1947 la revue Cuisine et Vins de France, avec Madeleine Decure. Cette revue donnera naissance en 1953 à un monumental ouvrage du même nom, considéré comme la bible des recueils de recettes de cuisine. En 1954, il fonde l'Association professionnelle des chroniqueurs et informateurs de la gastronomie et du vin (APCIG) avec quelques éminents confrères.

Le 22 juillet 1956, pris d'un malaise, il meurt en « tombant » de la fenêtre de son appartement du troisième étage sis au 14 Place Henri-Bergson et une brochure contenant les discours de diverses personnalités est imprimée à cette occasion. Il est inhumé dans le cimetière de Beauchamp (Val-d'Oise)13. Ses traits nous sont fixés dans plusieurs tableaux de son ami le peintre Maurice Asselin, dont l'un conservé au Musée du Luxembourg.